Seydi

Seydi est mon premier lecteur. Je le cherche dans les allées du jardin du Luxembourg. Al fait chaud et beau, le jardin grouille de monde. Soudain le voilà : immense, noir, magnétique. Plus j’approche, plus je rapetisse. Pas facile d’exister à côté de lui. Se sentir inférieurx à cause de la puissance de l’autre : cela aussi doit pouvoir s’éradiquer. Nous partons à la recherche du meilleur endroit pour mener cette interview. Deux chaises sous un arbre, à l’ombre d’une statue de reine, humble et figée dans la pierre, comme le temps que nous mettons à évoluer : c’est parfait.

Interview : Alpheratz – Crédit photo © Palmyre Roigt 2017

Qu’est-ce que Requiem a fait naître ?

Le plaisir de partager un même idéal de justice. C’est mon ancre.

C’est-à-dire ?

Je fais des études de droit pour devenir avocat. Je suis stagiaire dans un cabinet qui fait du pénal.

Tu dois en voir.

Ouh là ! T’imagines même pas.

Tu confirmes que le traitement juridique du viol ne conduit presque jamais à une condamnation ?

C’est pire. Il y a rarement des témoins, c’est souvent parole contre parole.

Mais l’ADN ?

Il n’est pas systématiquement prélevé. Tout ça est très long à se mettre en place. Trop long.

La linguistique explore l’interdépendance de la langue et de la pensée. Quel exemple peux-tu en donner ?

J’apprends le japonais.

T’apprends le japonais ?

Ben oui.

Pourquoi ?

Pour rien. Je veux tout savoir. Et j’aime me mettre en retrait pour valoriser une autre pensée que la mienne.

Utilises-tu l’une des ressources du français inclusif ?

Je ne pense pas. Je n’y ai pas assez réfléchi.

Pourquoi continuer à lire ?

Pour tout savoir. Je me donne quinze ans pour acquérir la culture générale la plus large possible.

An autaire phare

Laurent Gounelle, ses livres sont emplis d’ondes positives. Mais j’aurai toujours un faible pour Christiane Taubira qui, quoi qu’elle écrive ou dise, parvient tout le temps à me toucher et à éveiller ma révolte.

As-tu une cause qui te tient à cœur et que fais-tu pour elle ?

Je me sens un peu jeune pour m’engager dans la cause qui me tient à cœur : le panafricanisme, l’union que les pays africains tentent de réaliser pour renverser les siècles de domination et d’exploitation qu’ils ont subis, subissent et malheureusement continuent à subir. Mais ce mouvement aussi est jeune et doit être renouvelé. Je ne sais pas. J’attends le déclic.

L’école idéale devrait…

Pas seulement enseigner tout ce qui nous a permis d’être là, et de profiter de ce moment sous le soleil. Enseigner la gratitude envers ce passé, et donc permettre l’espérance pour l’avenir.

Moi, Président de la République, je…

mettrais en œuvre ma politique : soit souffrir, soit agir.

Quel serait le point commun à toutes les guerres ?

Ne pas mettre l’autre sur un pied d’égalité avec soi.

Un exemple de ce qui te touche

Toutes sortes d’injustices envers tout ce qui est vivant, tout ce qui vit.

Ton dernier mensonge

Je suis là dans dix minutes. (Rires)

Une foi ?

Je suis musulman.

Une dépendance ?

Je dirais le travail, toutes sortes de travaux, sur moi-même comme les connaissances livresques. Tout ce qui peut m’amener à me dépasser et à m’améliorer !

Ton rapport avec le sexe ?

Le sexe peut être quelque chose de sain si tu l’es toi-même. Il ne faut pas prendre son corps à la légère. Je cours très souvent, j’entretiens cette autre partie de moi-même qu’on a tendance à oublier.

Ce qui te rend heureux

Prier.

Comment tu pries ?

Je m’ouvre à la gratitude. Je ne dis pas « merci ». J’éprouve le sentiment de gratitude pour toutes mes chances, mes privilèges. Et je suis là pour mes amis.

Une parole inspirante

« Ethnocidaire ».

— ?

Arrêter de parler d’ethnies pour les Africains ou alors parler aussi d’ethnies pour les non Africains : pour les Corses, par exemple. Dans ce mot c’est le colonialiste blanc qui parle, celui qui ne sait rien des réalités extrêmement larges et diverses qu’il cherche à décrire et qu’il ne fait que réduire en leur assignant une place réduite dans l’histoire.

Une idée pour s’améliorer ?

Rester dans le dialogue, rester proche des gens, comme avant internet.

Qu’aimerais-tu devenir ?

Quelqu’un de savant sans cesser d’être simple.

Un symbole ou une vision

Difficile à dire. Mais je sais que tout ira de mieux en mieux.

On navigue dans Saint-Michel. L’alchimie de la rencontre : on observe les autres, ensemble. On échoue dans un restaurant à touristes rempli d’Américans qui viennent assouvir leur rêve de Paris. Ici, on a tout fait pour qu’il se réalise : les nappes sont blanches, le lierre pend aux fenêtres, al y a même une chanteuse d’opéra qui fait ce qu’elle peut. Seydi et moi on s’étrangle devant les prix de la carte et les rats qui fouillent les poubelles juste en face de nous. J’enchaîne les questions sur son expérience dans la mode (c’est catastrophique), ses perspectives (le concours du Barreau). Le temps passe. Al faut se séparer. Mais, outre sa détermination à s’élever, Seydi me réserve un dernier cadeau. Il extrait un petit bout de papier plié en quatre de son portefeuille. Je le porte toujours sur moi.

Je reconnais stupidement les derniers mots de Requiem. Il a arraché la page.

L’autre fois, dans un hôtel, j’ai croisé des profs de littérature et leur ai parlé de mon travail sur le genre neutre. Als m’ont opposé le front buté des gens qui ne croyaient pas que la vie et la littérature puissent se rencontrer, mais als m’ont dit cette phrase qui m’a marquæ, et qui résume bien la condition de l’autaire contemporan : « Un auteur contemporain est un auteur mort. » Je crois qu’al faut comprendre par là qu’on intéresse rarement de son vivant. L’autaire sage serait donc cial qui ne cherche pas la gloire, mais qui espère que ses mots résonnent chez quelqu’an, ne serait-ce qu’une seule personne. Alors, quelque part, quelque chose est gagné.

Merci Seydi, et bonne route.

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